A ma droite s’agite Isabelle avec laquelle je finis par discuter, coincée entre une chaise haute qui n’a pas sa place et un type à chapeau s’acharnant à inventer un cocktail imbuvable. Je lui raconte combien son travail sur Camweb est particulièrement intelligent et bien écrit. L'instant neutre arrive à son terme lorsque les premiers verres se renversent sur mes pompes. Entre deux éclats de rires et une danse improvisée, elle conseille. Les gens qu’il faut forcément côtoyer, ceux qui viendront d’eux-mêmes, attirés par le bruit du filon à exploiter et surtout oui surtout, ceux qu’il faut éviter. Elle a l’œillade de celle qui doit faire la fête maintenant, sur le champ, sans réserve, éreintée par une maternité récente, et une carrière à rediriger.
lundi 28 décembre 2015
#17
J’emballe à la hâte le dernier cadeau que je glisse dans le grand sac où se trouve déjà tous les autres, soigneusement rangés. Une
hotte de fortune estampillée FNAC sur les côtés.
J'ai passé bien assez de réveillons seule pour savoir que
l'esprit de Noël pèse plus lourd que les 21 grammes que l'on attribue au poids
de l'âme.
Qu’il est ardu de rassembler les pièces d’un puzzle dont les
angles usés ne s’emboitent plus. On essayera de ne pas s’attarder sur les
pièces manquantes, mais on y reviendra entre le plat et le dessert.
Dans la cuisine, ma mère transperce le gigot de son couteau
pour y fourrer des morceaux d’ail. Casques sur les oreilles, elle crie « Hein ? Quoi ? J’écoute
RTL ! »
Les habitudes indécrottables des solitaires. Quand bien même
avons-nous l’impression de lui faire plaisir en lui faisant partager un moment
collégiale, elle continue d’agir comme si nous n’étions pas là. Son monde se
retrouve alors, emmerdé par les cris, chahuté par les enfants, prisonnier des
contraintes liées à la vie en communauté.
Sur la table est disposé le nécessaire pour l’atelier hors
d’œuvres :Œufs de lompes, Tamara, pain d’épices, roquefort, saumon,
jambon… « Est-ce que c’est bien
comme ça ? » Les nièces tartinent les petits pains avec une
certaine minutie. Ici comme ailleurs, les hommes brassent de l’air, traversent
la pièce de long en large sans but ultime et proposent de l’aide une fois que
tout est terminé.
Sur le tard, déjà repu d’une entrée costaud et après avoir
évoqué une fois de plus l’absence du géniteur, ce mâle plus tellement alpha,
qui n’a pas daigné savoir si je ne m’étais pas pris une balle dans la gueule en
novembre dernier, est arrivé le moment fatidique d’étaler les opinions
politiques. C’est au bout de la seconde bouteille que l’on se croit capable de
résoudre tous les problèmes de cette planète à coup de phrases faciles, de
raccourcis moisis et d’interprétations hâtives, confit d’oignons entre les
dents.
Il me faut monter le ton très haut pour recadrer les propos
nouvellement fasciste de l’oncle qui subit une Zemmourite sévère. Je reconnais cette maladie à la fièvre
allergique qui fait naître une céphalée fulgurante, suivi d’une pulsion
meurtrière calmée par la technique de respiration traditionnellement utilisée lors des accouchements et plus communément appelée, « la technique du petit
chien ».
Point de rupture atteint, je ne peux ni supporter ses
théories fumeuses sur le potentiel terroriste de chaque réfugié syrien, ni
tolérer ses propos antisémites sous couvert d’un
« Mais c’est important de se poser les bonnes questions. »
Pendant qu’autour de la table, on déballe quelques cadeaux afin
d’évacuer cet air vicié, apparaît alors entre mes mains une BD tombant à point
nommé. L’oncle dit : « Tu as eu
quoi ? Montre c’est quoi ? Ah… oui.. ok… »
On peut lire sur la couverture « Riad Sattouf - L’Arabe du futur. »
21h37, sur le
boulevard Ordener se libère devant moi, une jolie place de parking dans
laquelle j’engouffre ma caisse, me pensant comme à chaque fois, super chanceuse. Ce leurre.
L’appartement qui accueille l’anniversaire de Chloé est
spacieux. Nous sommes quelques jours avant le réveillon. Je remercie l’hôte de
me recevoir. J’aime assez ça, la politesse. Nous serons la dernière génération à en
user. Le balcon semble pencher, alors j’évite de regarder vers le bas pendant
que je tiens une conversation sur l’identité Corse avec une inconnue qui le
devient chaque minute un peu moins. Camille est malade, elle est contagieuse,
elle n’embrasse personne. Il lui faudra le répéter à chaque nouvel arrivant
jusqu’à ce qu’on finisse par s’enlacer sur du Britney Spears, quelques heures
plus tard. « Oh pis merde ! »
qu’on criera dans un élan d’affection général. Je tomberai malade 48 heures
plus tard.
Sur le bar, les vivres sont abondantes. Dans le frigo, les
bouteilles s’entrechoquent. Sur nos verres, des étiquettes personnalisées. J’ai
pioché Loana, j’ai discrètement changé pour Bidule.
Il existe dans toutes les soirées, qu’elles soient fastueuses, qu’elles soient somptueuses, cet instant neutre régi par la dignité, où les invités
s’écoutent et se contiennent. Cette heure où danser sur l’inacceptable est
impensable. Cette heure où rien ne tangue encore, ni le corps, ni l’espace. C’est
une team majoritairement Vanity Fair qui grouille, une population vive et
ouverte, un microcosme arty encore épargné par la droitisation et avec lequel il est
bon de converser, d'évoquer l'absurde comme l'important.
A ma droite s’agite Isabelle avec laquelle je finis par discuter, coincée entre une chaise haute qui n’a pas sa place et un type à chapeau s’acharnant à inventer un cocktail imbuvable. Je lui raconte combien son travail sur Camweb est particulièrement intelligent et bien écrit. L'instant neutre arrive à son terme lorsque les premiers verres se renversent sur mes pompes. Entre deux éclats de rires et une danse improvisée, elle conseille. Les gens qu’il faut forcément côtoyer, ceux qui viendront d’eux-mêmes, attirés par le bruit du filon à exploiter et surtout oui surtout, ceux qu’il faut éviter. Elle a l’œillade de celle qui doit faire la fête maintenant, sur le champ, sans réserve, éreintée par une maternité récente, et une carrière à rediriger.
A ma droite s’agite Isabelle avec laquelle je finis par discuter, coincée entre une chaise haute qui n’a pas sa place et un type à chapeau s’acharnant à inventer un cocktail imbuvable. Je lui raconte combien son travail sur Camweb est particulièrement intelligent et bien écrit. L'instant neutre arrive à son terme lorsque les premiers verres se renversent sur mes pompes. Entre deux éclats de rires et une danse improvisée, elle conseille. Les gens qu’il faut forcément côtoyer, ceux qui viendront d’eux-mêmes, attirés par le bruit du filon à exploiter et surtout oui surtout, ceux qu’il faut éviter. Elle a l’œillade de celle qui doit faire la fête maintenant, sur le champ, sans réserve, éreintée par une maternité récente, et une carrière à rediriger.
Je ne le connais que trop bien ce regard. J’ai passé trop de
temps à être moi-même alors que je pouvais devenir quelqu’un.
B.O. du #17
POINT PRESSE: J'ai été interviewée par le site, Les Biches. Si tu te fais chier, ou que t'as vraiment envie d'en savoir plus sur ma vie, mon oeuvre, tu peux la lire ici.
mercredi 9 décembre 2015
#16
La puissance du vin vient frapper ma glotte et manque de me
faire tousser. Je déglutis juste avant de lui dire : « Tu sais moi l'amour c'est fini jusqu'à nouvel ordre. Je deviens
tellement débile quand j'aime que je préfère me concentrer sur mes
projets."
Combustion instantanée de l’organe moteur. Comme si je croyais
vraiment à ce que je disais. Comme si j’allais me suffire à moi-même. Comme si
j'allais écrire le livre du siècle, organiser la soirée de l’année. Comme si j'allais
combler les besoins de l'humanité. "Non
vraiment j'ai été plus productive en 6 mois que je ne l'ai été ces 2 dernières
années. Mais ça ne m'empêche pas de baiser celles que je juge susceptible de
l'être." Sur cet argument
imparable, elle n'a pu rétorquer.
Une heure plus tôt, vent d’automne dans les gencives. J’accélère le pas pour retrouver Ava qui poirote devant le Gibus et m’invite à
me presser d’avantage avec un « Qu’est-ce que tu fous ? » jusqu’à ce que mon corps interrompe sa course devant
le parterre de bouquets destiné à honorer la mémoire des victimes des
attentats. Je suis devant le Bataclan. Là où tout a commencé pour moi, là où
tout s’est terminé pour d’autres. Je prends une photo, je l’efface, j’en prends
une autre que je crois meilleure. Je m’impose des gestes inutiles pour éviter
de succomber à l’émotion. On a tellement pleuré sur ce trottoir qu’il en a
poussé des fleurs.
Des touristes s’attardent sur les portraits qu’on a pris soin
d’accrocher afin qu’à défaut d’oublier l’horreur, on n’oublie pas leurs visages.
Où vont se loger les larmes qui ne coulent pas ?
Un SMS me rappelle à ma mission, il faut que j’avance, il
faut continuer à marcher. La symbolique est forte.
Derrière la grille du Gibus, à contre-jour, Mathilda sourit, tend
ses bras et m’enlace. Nous empruntons un dangereux escalier. Il est question du
shooting destiné à la communication visuelle des soirées Possession. Nous avons
le privilège du silence sur un dancefloor vide en attente d’être sali. Dans
quelques heures, une certaine population viendra y perdre l’esprit.
Dans un coin reculé, la noirceur profonde contraste avec la
lumière éblouissante et surréaliste du flash surmontant un appareil photo lui-même
trônant sur un trépied. Enzo me dit que c’est à moi, que je dois m’assoir sur
le cube géant, ne pas sourire, me tenir plus droite, garder les yeux bien
ouverts, voilà c’est bon, attends on en refait une autre. Small talk pendant que nous remettons nos manteaux. On remonte à la
surface, on s’enlace, on se reverra bientôt et surtout qu'on n'oublie pas de prendre soin de nous.
Ava propose que nous nous rendions dans un bar près du canal
dans lequel officie un de ses amis. Léonard, tout sourire se tient derrière le
bar. La tribulation des heureuses coïncidences. Lui qui, 2 semaines plus tôt déposait de la poudreuse teintée sur la peau des modèles, remplira sans discontinuer nos verres avec la même générosité. Nos coudes grattent le comptoir
pendant plusieurs heures. Il fait bon vivre au Sésame. Ava, assise en tailleur
et chapka retroussée sur la tête, me raconte la difficulté d’être atypique au
cinéma, l’avantage de l’être au théâtre et l’importance que cela a dans la
chanson. Son esprit loufoque se marie parfaitement avec le vin italien.
Frida Kahlo ouvre la porte de la maison. Nous entrons sans
que personne ne s’inquiète de savoir qui nous sommes, nous infiltrons les
convives, occupés à danser, parler fort, s’embrasser où se servir du vin rouge bon marché.
Cette situation a commencé à exister après qu’Ava ai prononcé
les mots : « J’ai une soirée chez
des altermondialistes à Montreuil. Viens si tu veux. »
On accède avec difficulté à la cuisine. Je presse quelques
citrons pour diluer la tequila pendant qu’on m’annonce qu’il s’agit d’une
soirée déguisée. J’avale mon verre d’un trait. Frida Kahlo n’était donc pas
Frida Kahlo. Traquenard absolu. Dans la pièce principale les looks divergent. J’évite
tout commentaire sur la décoration intérieure au cas où je me tiendrais
maladroitement à côté de l’hôte dont je ne connais ni le nom, ni le visage.
L’ambiance est chaleureuse. Il y a le garçon qui aime
l’expérience inédite des collants sur sa peau. La lesbienne à bonnet qui tire
la tronche et nous regarde de travers pour se donner une contenance. Un grand
classique. La fille qui a éclaté le budget paillette. Le cow boy de service, la
soubrette enrobée, le clown low cost, et le type auquel on n'ose pas demander s’il s’agit de ses vrais cheveux afin d’éviter toute vexation. « Tahiti Bob c’est ça ? » Son
silence laisse entendre que j’aurais tort d’insister.
A l’étage j’entame une attaque frontale sur un joli minois
penché sur un téléphone de dealer. L’humour est l’arme de toutes les approches.
L’écho de ses rires rebondit sur les marches de l’escalier que je
redescends pour laisser en suspend mon intérêt et y revenir quand ce sera le bon moment. Laisser un gout d’inachevé fait toujours naître l’intérêt.
« Mais t’aimes bien
les hétéros toi en fait… » me balance
Ava en déhanchant son body en dentelle sur un titre oublié de New Order, qu’un ami
poète venait de lancer dans les enceintes en s’improvisant Dj Youtube.
« J’ai un goût assez prononcé
pour l’inaccessible. »
B.O. du #16
mardi 1 décembre 2015
#15
Je suis
arrivée avec un bon quart d’heure d’avance au rendez-vous qu’on s’était tous
fixé chez Florent, avec l’appréhension que certains se désistent, sous l’emprise
de la paralysie générale. J’ai lu ici et là qu’il fallait continuer à faire la fête,
mais il a fallu trier entre les prêches de résistance et les discours mercantiles. Le vice
du profit s’acoquine souvent au malheur.
Parce qu’une
fois attablée en terrasse, par besoin de
souffler et non par esprit conquérant soyons honnête, mon premier réflexe a été
de vérifier toutes les issues possibles si quelques balles venaient à fendre l’air
en ma direction. « Vu comment t’es
placée, je crois que t’y passeras la première. » Blague morbide en vue
d’apaiser la tension et qui fera rire jusqu’à la prochaine rafale qu’on sait
imminente.
Je me suis interrogée sur le maintien du shooting destiné à la promotion de
notre soirée Amour Sauvage. J’avais le choix entre continuer à fédérer où me
mettre en boule sous ma couette en écoutant 37 fois par jour Nos joies répétitives de Pierre Lapointe. Une semaine, c’est
le temps nécessaire pour que la boule dans la gorge glisse jusqu’au ventre.
Alors on l'a fait.
Alors on l'a fait.
Léonard installe
son matériel, me montre les feuilles d’or qu’il pourrait appliquer et dispose
sa palette de fonds de teint précautionneusement. Je débouche une bouteille, il
est 14h, je m’enfile deux verres d’affilée pour trouver la force de feindre la bonhomie.
Je
filme, je tremble un peu. Pauline me présente sa nouvelle
petite amie sur laquelle il faudra que j’ai un avis. Karina savoure la
délicatesse de Léonard dont les pinceaux glissent sur ses pommettes comme des
caresses sur un nouveau né. Géraldine parsème l’air de ses bonnes vibrations londoniennes. Nicol
s’étire les membres supérieurs. Mathilde règle son appareil photo. Jordan prend
la pose avec assurance et Florent n’en perd pas une miette.
Je rêve de
bras de huit mètres qui les enlaceraient tous. J’imagine des discours
affectueux. Quelques mots qui exprimeraient ce qu’ils ont insufflé à ma vie sans rien laisser paraître. Celui
qui m’a fait confiance, celle qui m’a soutenue, celle qui m’a réveillée, celui
qui n’a pas oublié. Au lieu de ça, je remplis les verres, je filme, je tacle et
je me noie dans ma pudeur. Je n'ai pas su leur promettre autre chose que de les rendre beaux.
(Le résultat est à voir ici )
(Le résultat est à voir ici )
Deux cent
mètres. C’est approximativement la distance entre la sortie de métro Bonne
Nouvelle et l’entrée du Delaville Café. Un trajet interminable lorsque, inondée
de questions, celle qui remonte entre toutes s’inscrit en lettres de néons
aussi violemment que le nouvel éclairage du grand Rex : Est-ce vraiment une
bonne idée de se revoir ?
Quels sujets aborder lorsqu’on a 10 ans à updater ? Débuter par ce qui nous avait fâché. Donner les noms de tous ceux et celles avec qui on a couché. Parler des emplois que l’on a occupé. Nommer les rues où l’on a habité. Raconter la vie des autres. Rire sur les scoops improbables. Critiquer les dernières séries. Admirer la journaliste influente qu’elle est devenue. S'inquiéter des livres que je n’ai jamais écrit.
Quels sujets aborder lorsqu’on a 10 ans à updater ? Débuter par ce qui nous avait fâché. Donner les noms de tous ceux et celles avec qui on a couché. Parler des emplois que l’on a occupé. Nommer les rues où l’on a habité. Raconter la vie des autres. Rire sur les scoops improbables. Critiquer les dernières séries. Admirer la journaliste influente qu’elle est devenue. S'inquiéter des livres que je n’ai jamais écrit.
« Première table à droite en rentrant
sur la terrasse. » 1
nouveau message. Nous sommes 6 jours
avant les attentats.
Nora se redresse. Nora sourit. Mes doutes s’estompent à la première bise. Elle est
encore plus jolie. Le temps efface bien des choses, mais la beauté, c’est ce
qui s’oublie en dernier. Si cette rencontre s’était jouée dans un film, la
séquence aurait été entrecoupée de flashback insolites. Entre deux gorgés de
mojito, gros plan sur une mezzanine en bois cognant contre un mur sous l’impulsion
de mouvements de bassin, alors que j’entre discrètement dans la pièce pour
récupérer un paquet de clopes. Au milieu de ses péripéties chez Slate, plan
serré sur ses yeux humides alors que je traîne dans le salon, ma valise de 30
kilos, prête à partir vivre à Montréal et pensant la laisser entre de bonnes
mains.
A propos des mots,
il y a eu débat. Sur l’écrivain que je ne suis pas devenu. Sur les désastres du
bonheur sur l’inspiration. Sur tous les blogueurs influents qui n’influencent
plus. Et sur celle qui a tout réussi avec talent.
Dernier
métro, le SMS « c’était cool ».
L’esprit grisé par ces retrouvailles, je lui demande de faire revivre Sskizo.
Je crois qu’au fond, en plus du plaisir de la lire à nouveau, je n’avais pas
envie d’être la seule à revenir.
B.O. du #15
lundi 16 novembre 2015
#14
Il y a ce
vent glacial qui traverse le hall du 104 où je sautille en attendant Tania. Une
fille gère l’accueil, la moitié du visage emmitouflée dans son manteau, nous
annonce que le concert a du retard, qu’on viendra nous chercher. Pendant que Tania discute avec un type qu’elle
semble bien connaitre mais à qui elle n’a pas grand-chose à dire, je m’attarde
sur l’immense installation artistique faite de centaines de roues de vélos. Je
cherche un sens, je m’interroge, je m’intéresse. S’émerveiller innocemment devant
une œuvre d’art ne semblait pas encore devenir un luxe.
Je tends
le bras et fais tourner une roue pendant qu’ils me regardent, interloqués. « Désolée, ça faisait dix minutes que j’avais
envie d’y toucher… »
Braver l’interdit
allait alors prendre tout son sens.
Au Café
Caché où nous nous amassons, l’ambiance est aussi légère que la mousse qui
recouvre nos bières. Je sens qu’on tapote sur mon épaule. Un quart de tour de
buste et le petit minois de Théodora apparaît dans mon champ de vision. Je la
félicite, quelques heures plus tôt j’apprenais qu’elle allait se produire à l’Olympia.
Reflète dans son regard, l’humilité des jolies âmes.
Le
spectacle débute. Perché sur un balcon de fortune, un homme à l’allure David
Lynch, arrosé par une douche de lumière céleste, annonce le programme et nous invite
à nous abandonner dans l’atmosphère mystique qu’ils nous ont concocté.
Fiodor
traverse la salle et grimpe sur scène, rejoindre le groupe déjà en mouvement.
La scénographie est sobre, le rythme est soutenu, mon pied gauche bat la
mesure. Il y a tant à admirer à un concert. Des doigts qui pincent avec
précision le cordage d’une guitare, les muscles bandés du batteur, les
chaussures usées du mec qui n’a que sa musique à penser, les paupières closes de
la chanteuse sur une vocalise poussée, la chaleur qui émane des corps et s’évapore
dans les rayons penchés des spots colorés.
Assister
à un concert c’est se réunir pour regarder dans la même direction, écouter les
mêmes chansons mais s’évader chacun de son côté.
Des
visages s’éclairent à la lumière des smartphones. La dizaine tourne à la
trentaine en l’espace de quelques minutes. Quelque chose se passe. Je sors le
portable de ma poche, je lis : T’es
où ? Tu es chez toi ? Décroche ton téléphone ! Restes où tu es. Réponds,
mais réponds bordel !
Je ne
sais pas à qui répondre en premier, je ne comprends pas ce qu’il se passe, je
tends mon écran à Tania, qui regarde le sien, tout aussi inondé de SMS. Fusillade, morts, concert, bombe.
Engourdissement
général, respiration courte, je prends quelques minutes pour réaliser, je
scrute la salle qui se vide par le fond. On
sort ! que je glisse à l’oreille de Tania.
Dans l’entrée,
un silence morbide. Le public est rivé sur son téléphone, un mec écoute la
radio le visage grave. Je déroule le fil d’actualité à mon tour. Il y a cette
fille qui poste des photos depuis l’intérieur du Bataclan, le corps ensanglanté
d’un jeune homme qui avait aussi payé pour s’évader. Elle dit qu’elle est
bloquée, elle dit qu’il faut venir la sauver. Le carnage 2.0.
Nous
nous asseyons, nous nous relevons, nous sortons de la pièce, nous entrons à
nouveau, nous ressortons, nous fumons. Je ne distingue pas mes tremblements du
froid ou de l’effroi.
J’peux pas croire que ça arrive. Qu’est-ce
qu’on fait ? Emilie est au Bataclan. On reste là ? Il faut qu’on
reste groupé. Je préfère tenter de rentrer. J’veux pas rester là toute la nuit.
Sonnerie
retentissante au moment où la grille se referme sur notre passage. Alex
prévient dans le combiné : Ne sortez
pas, restez où vous êtes, ils tirent dans les rues. Volte-face, grille verrouillée.
Vous ne pouvez pas rentrer, nous
sommes en plan Vigipirate. N’insistez-pas.
Marche
rapide direction ma voiture. Fermeture des portes, j’allume le contact, on
tente un départ. Le tableau de bord joue l’avertissement avec son gros bip qu’il
faut traduire par: T’as plus d’essence
meuf…
Je
dépose Tania à Pigalle, je m’engouffre dans le centre de Paris, réservoir incertain.
Sirènes, ambulances, touristes inquiets, courses folles de résidents. Travelling sur un Saint Germain désert avec pour bande son, la voix chevrotante d’un
François Hollande qui finit par glacer toutes les parties de mon corps qui ne l’étaient
pas encore.
Mon appartement
n’a jamais semblé aussi vide. Il n’y traîne ni chair brûlante, ni cœur palpitant.
Tout est à sa place entre les murs blancs immaculés. Les plantes arrosées de la
veille, les livres impeccablement classés, les coussins remarquablement
alignés.
La perfection utopique d’un monde que l’on croit maîtriser à coup de consommation massive pendant que nos idéaux foutent le camp.
La perfection utopique d’un monde que l’on croit maîtriser à coup de consommation massive pendant que nos idéaux foutent le camp.
J’ai
peur d’allumer la télévision comme j’aurais peur de l’éteindre.
Le
lendemain, Camille décide de maintenir sa fête d’anniversaire. Il fallait juste
remplacer le mot fête par rassemblement. Alors on a mis un peu de musique, on a
ouvert quelques bouteilles. On n’a pas fait semblant que tout allait bien. On a
essayé de croire, pour quelques heures encore que notre insouciance n’avait
pas été touchée.
B.O. du #14
lundi 2 novembre 2015
#13
-T'as pas vu mes poireaux ?
Dans l’encolure de la porte, se tient ma mère, à contrejour, tel un spectre vicieux. Nous sommes dimanche, il est 9h57. Tentative futée de me sortir d’un sommeil que j’avais pourtant bien mérité. Je garde les yeux clos en ronchonnant un Heiiinn ? Mhnnnoooonnnnn bien gras. Bouche pâteuse, tête lourde, victime de la bouteille de vin que je me suis enfilée sans honte dans le but avoué d’effacer la veille. J’enfouie ma tronche renfrognée sous la couette afin de bien faire comprendre que ma nuit ne peut décemment pas se terminer sur une question aussi brûlante.
Dans l’encolure de la porte, se tient ma mère, à contrejour, tel un spectre vicieux. Nous sommes dimanche, il est 9h57. Tentative futée de me sortir d’un sommeil que j’avais pourtant bien mérité. Je garde les yeux clos en ronchonnant un Heiiinn ? Mhnnnoooonnnnn bien gras. Bouche pâteuse, tête lourde, victime de la bouteille de vin que je me suis enfilée sans honte dans le but avoué d’effacer la veille. J’enfouie ma tronche renfrognée sous la couette afin de bien faire comprendre que ma nuit ne peut décemment pas se terminer sur une question aussi brûlante.
Assoupissement avorté lorsque je commence à imaginer sa botte
de poireaux au fond de mon coffre, oubliée à la caisse, dans un caddy, dans un
caniveau, dans la main d’un type aux yeux injectés de sang qui hurlerait à la caisse de Carrefour: Ils sont à moi !!
Ils sont à moi tes putain de poireaux !! Rire de hyène diabolique
raisonnant sur toute la ville. Ses poireaux à toutes les sauces, je les rêve en
soupe, ciselés, en juliennes, en confit. Poireaux, poireaux, poireaux… Je me redresse
en sursaut avec pour ambition première, rentrer à Paris au plus vite sans en
avoir l’air, juste après qu’elle ait de nouveau entrouvert la porte en m’annonçant
« Mais en fait je les ai pas
acheté, ahah j’suis con. »
24h plus tôt. Je me gare sur le parking donnant sur la
fenêtre de sa cuisine pour annoncer mon arrivée. Elle soulève son chien pour qu’il
assiste aussi à ma venue, se mette en transe et prévienne tout l’immeuble de l’arrivée
imminente d’une personne qui ne semble pas être le facteur, grâce à des aboiements
stridents que je devrais calmer à coup de pied au cul surmonté d’un affectueux « Mais ta gueule putain ! ».
Dans l'entrée, elle s’approche pour m’embrasser mais la gueule du chien, revenu
dans ses bras, s’interpose à chaque bise, sa truffe humide entre deux joues.
A chaque visite je découvre chez ma mère, un nouveau comportement s’éloignant de la femme qu’elle était.
A chaque visite je découvre chez ma mère, un nouveau comportement s’éloignant de la femme qu’elle était.
Faire
une montagne d’un petit problème du quotidien. Parler toute seule. Commenter chacune
de ses actions. Renommer son chien Denyse, m’appeler par le nom du chien. Raconter
en détail la vie des enfants de la voisine du troisième étage tout en ignorant sans complexe ce qui anime la mienne. Me montrer ses derniers achats en précisant fièrement, c’est
important, « C’était en promo ».
Me montrer chacune de ses boites de médicaments contre la tension, les rhumatismes,
les maux de têtes et la constipation bien entendu, on n'ingurgite pas autant de molécules sans risque. Me faire lire tous les
courriers auxquels elle ne comprend rien. Mettre son téléphone en haut-parleur
et hurler près du micro. Me demander de faire toutes les mises à jour de tous
ses produits high-tech. Et biensur, dormir avec un bigoudi sur la frange.
De
petites actions inoffensives reflétant la vie morne d’une majorité de femmes retraitées,
sans doute persuadées à mon âge, qu’elles échapperaient au déclin. Une génération
de femmes ayant toutes refusé de refaire leur vie après s’être fait larguer
au bout de 20 ou 30 ans de mariage pour cause de date de péremption dépassée, et avec pour unique contrainte, être à l’heure pour regarder leurs séries
préférées.
On n’est
jamais trompé par un personnage de fiction.
-Tu ne mettras pas tes chaussures sur les
barreaux de la chaise, elle est neuve, c’est de l’inox. Je l’ai achetée en
promo. J’inspire. J’ai rien à
fait à manger, t’as dit que t’étais au régime. Bois de l’eau. J’expire. Franchement quand je pense que t’as voulu
me faire payer le péage. (Rappel des faits : Mois d’Aout. Montant du
litige, 3,80 euros )
Suffocation,
je m’exprime : Ok tu sais quoi, je
me casse !
Je ne m’étais
pas barrée en trombe d’un endroit depuis que j’avais quitté mon poste d’assistante
chez CINELITE en 2007. Redressée tel un suricate, poings sur la table, tirade radicale à l'attention de l’agent artistique médusée. Réalisant
ainsi le fantasme absolu de tout employé à bout de nerf, balancer une réplique cinglante,
claquer la porte en partant, et courir dans la rue en se répétant « Je l’ai fait putain ! Je l’ai fait ! »
Je m’engouffre
dans le premier parking commercial venu, Intermarché, loin de l’entrée, je
coupe le moteur, je coupe la radio, je décroche ma ceinture, je retiens une
montée de sanglots grâce à une respiration maîtrisée. Je n’ai pas pleuré à
cause de ma mère depuis 1998, à ce moment précis où j’avais compris au son de sa
voix, qu’elle s’était remise à boire. C'est un cauchemar récurrent.
Devant
moi, tous les couples cinquantenaires se donnent rendez-vous pour m’offrir le
spectacle le plus insignifiant de la vie quotidienne auquel il est impossible d’échapper lorsque que l'on pratique la vie normale des gens normaux:
Les courses de la semaine.
Il ouvre
le coffre, elle range chaque article méticuleusement dans de grands sacs usés,
il porte les packs d’eau, elle cale les sacs dans le coffre, il récupère la
pièce d’un euro, elle part ranger le caddy, le tout dans un silence religieux.
J’observe
cette scène quatre fois de suite en apposant le visage de ma mère sur chacune
de ces femmes, écrasées par une routine fétide mais avec l'air d'être comblées, l'air d'être aimées.
Je démarre,
j’y retourne, je sonne à la porte, elle ouvre, me sourit et n’évoquera pas une
seconde cet incident comme elle a gardé le silence sur toutes les souffrances
de sa vie.
-Bon, on va faire des courses ?
B.O. du #13
lundi 26 octobre 2015
#12
Samedi 8h30. Sonnerie de l’horreur, je frotte mes
paupières, j’étire mes membres, je recentre mes pensées, encore engluée dans un
rêve où je frappais quelqu’un avec mes bras en mousse.
Pointes des pieds sur sol gelé, je suis en éveil.
Relever le store, ouvrir la fenêtre, scruter le ciel. Fraîcheur de fin d’octobre en pleine face. Les chevilles craquent jusqu’à la douche. Manteau d’eau chaude,
mousse de savon. Je me jette un premier regard dans le miroir pour me rappeler
de quoi j’ai l’air et estimer le temps nécessaire pour être présentable.
Vieillir c’est y consacrer chaque jour un peu plus de temps.
Fip en
fond sonore. Dosette de café noir, un sucre, je touille, je m’assoie, j’avale.
Je fais dérouler les fils d’actualités des réseaux sociaux sans m’attarder.
Comme tous les weekends, une victime de la nuit perd son portable et nous le
fait savoir, au cas où nous aurions encore l’occasion de nous appeler et de se
raconter des choses. Hormis nos mères, on n’appelle plus jamais personne.
Parvis
de la mairie de Vincennes. Des attroupements se forment. J’essaye de deviner
lequel appartient au mariage auquel je dois assister. J’y reconnais une puis
deux personnes. Meilleure amie s’agenouille pour parler à sa fille, dont la
passion pour les feuilles mortes vaut bien la création d’un herbier.
Je fais
semblant de trouver cette situation complètement normale. Nos copines de
soirées se marient. Alors je m'interroge.
Qu’est-ce qui m’a poussé à refuser d’enfiler le costume d’adulte qui m’attendait au rayon responsabilité ?
Qu’est-ce qui m’a poussé à refuser d’enfiler le costume d’adulte qui m’attendait au rayon responsabilité ?
Pendant
que toute la tribune écoute sagement les premiers sermons dans un décors grandiose aux moulures de la République Française, que les cœurs des
mariées s’emballent, que les larmes des parents s’apprêtent à fondre sur la peau rugueuse de leurs joues brûlantes, je m’approche
au plus près d’un florilège d’émotions que je ne vivrais jamais. Piégée par ma peur de l’engagement, réchauffée par cette douillette couverture qu’est
la marginalité.
« Pas trop dur de te lever ce matin ?
Tu es sortie hier soir ? (...) Tu me fais marrer avec les photos de tes nanas… »
En bas
des marches, pendant que les mariées fraîchement baguées se font photographier,
on me prête une vie que je n’ai pas. Il n’existe aucun compromis entre ce qu’on
pensait savoir de vous et ce que vous devenez. Ce à quoi vous aspirez pendant
que le temps s’écoule et que vous persistez à ne pas vous appeler, parce que
vous pensez tous savoir des autres grâce à Facebook.
Pourtant,
la veille ressemblait à cet après-midi de 2005, où avec Meilleure amie nous
visitions avec excitation, la salle destinée à accueillir la plus grosse soirée
lesbienne de Paris. Celles qui savent devraient s'en rappeler.
Dix ans
plus tard, notre assurance nous a obligés à poser plus de questions à notre
charmante interlocutrice. Du prix des consommations, aux sorties de secours. C’est
très laid une boite de nuit en plein jour. Fauteuils éventrés, murs lacérés. Il n’existe pas un endroit où quelqu’un n’a pas vomi. Le reflet de nos âmes.
C’est pourtant dans cette effluve de crasse que je peux d’ores et déjà vous prédire une des plus excitantes soirées LGBT de 2016.
Mais ça, je vous l'expliquerai dans une tribune dédiée.
C’est pourtant dans cette effluve de crasse que je peux d’ores et déjà vous prédire une des plus excitantes soirées LGBT de 2016.
Mais ça, je vous l'expliquerai dans une tribune dédiée.
B.O. du #12
mardi 6 octobre 2015
#11
Ce qui m’a le plus surpris, c’est le chant amplifié des
oiseaux. Une cacophonie merveilleuse. Assise sur la terrasse surplombant une
ville terracotta en éveil, j’ai pris grand soin d’offrir à mes souvenirs
futurs, ce panorama au voile bleuté qu’exhibent les montagnes de l’Atlas.
7h30. Seule. Je m'étourdis de tous les bruits et des odeurs nouvelles comme si j’allais y passer demain.
Marrakech. Ses rues terreuses sont exiguës et nous
protègent de l’écrasante chaleur coutumière. Il nous faut nous pousser souvent,
longer les murs pour éviter les scooters, les vélos, les charrettes, les
promeneurs, les chats sauvages et les enfants agiles. Le parfum de l’essence et
des épices agressent nos naseaux. Les mendiantes statufiées n’attirent notre attention que lorsque l’on
manque de les heurter. Les vendeurs affalés alpaguent le moindre regard égaré qui
se pose sur leurs commerces. Le business de l’artisanat ancestral.
Sur la place Jemaa el fna, les charmeurs de serpents font payer les photos des touristes, des sénégalais s’incrustent à la carte postale en proposant des chameaux en bois, des chapeaux de pailles, et des jouets bruyant et lumineux qu’on sait tous venir de Chine.
On a évité tous les pièges, sauf celui de s’épancher.
Le Riad est féerique. Il a le luxe du calme que la ville ignore. Piscine glacée en son centre, chambre agréable, drap frais. Au dernier
étage, une table familiale que l’on investit à la hâte, dans un désir soucieux
de recréer une ambiance festive qui se prêtera aux confessions sentimentales,
les lèvres rougis par un vin marocain passable et fort en bouche.
Lui nous parle de ce gamin de 20 ans qui ne sait pas ce qu’il veut vraiment, des signaux envoyés, des additions payées, des verres engloutis sans récompense ultime, ni sexe, ni tendresse. Il a lâché l’affaire, mais il pense souvent à lui.
On pense bien trop souvent à ceux qui ne donnent pas.
L’une d’elles masse ses pieds, torturés par 13 kilomètres de
marche. Elle enchaîne sur l’histoire de ce type, beau comme un Dieu, avec qui
elle a baisé il y a quelques semaines, et qui n’avait plus jamais donné de
nouvelle. Elle a eu tout le temps, la semaine suivante, de faire la liste de tous
ses défauts qui auraient empêchés cet abruti de revenir. Une libido tordue, une
fin de règles, une cellulite disgracieuse, une conversation dénuée de sens, un
sexe mal épilé, des cheveux secs, une haleine condamnable. Elle a cherché
longtemps les causes d’un silence alors qu’elle pouvait simplement mettre ça
sur le compte du principe du coup d’un soir. Celui qui n’oblige à rien, et surtout pas à revenir. Son massage remonte jusqu’à sa cuisse lorsqu’elle nous annonce
que le mec a finalement refait surface ce matin, aussi brusquement que la trique d’un adolescent.
Recroquevillée dans le fauteuil, j’assiste au déballage des aventures amoureuses de ces 4 merveilleux êtres et je suis confrontée à la certitude que le seul personnage commun à toutes nos vies narrées sur une table en mosaïque, n’est autre qu’un sentiment, au plus juste, un état.
Celui qui vous pousse à penser à ce gamin de 20 ans avec
qui aucun avenir n’est possible. Celui qui vous engage à baiser avec ce mec qui ne donnera pas plus de nouvelles à la seconde baise. Ce sentiment si présent qu’il en devient
familier et douillet. Celui que vous souhaitez enterrer en allant là où
vous ne souhaitiez pas aller, en fréquentant des gens que vous n’aimez pas, en prenant des décisions qui ne vous correspondent pas.
Cet état nauséeux, que vous avez beau essayé de cacher, sur les réseaux sociaux, sur une photo, dans un pays ou dans un autre, entre deux séances de ciné, devant une série, au travail, pendant vos achats, durant un verre entre amis, sous la couette, sous la douche, devant la glace, en bouffant, en courant. Que vous chantiez, que vous dansiez, que vous riez, elle est partout avec vous, cette solitude.
On a ouvert une nouvelle bouteille de vin, puis on a sorti les cartes.
B.O. du #11
lundi 14 septembre 2015
#10
Des flèches en chatterton orange indiquent le chemin à suivre. C’est le plus grand squat de France. m’informe
une fille qui veut bien faire. Alors je m’attarde. Chaque délabrement est une œuvre d’art. Le
volume de la musique s’intensifie à mesure de mon avancement, c’est bien par là. Je ne connais
personne ou presque. Une blonde est allongée sur l’un des canapés, les invités, déjà
ambiancés, sont intimes et très à l’aise. On me présente, on donne ma bio, comme
si j'avais l'intention être quelqu’un d’autre.
Quelque part sur la planète, il y a ce type qui marche depuis des jours
entiers. Il économise le fond d’eau qui clapote dans sa bouteille d’Evian déformée.
Une dame courbée la lui a tendue quelques kilomètres plus tôt, avec une pomme
et un sourire. Le visage nourrissant d’une âme charitable.
Sa flèche à lui, c’est cette marée humaine. Ce flot incessant de viandes
sur pattes qui a l’air de savoir où aller. Le bruit du gravier écrasé sous les
godasses usées pour seule mélodie.
Balcon colossal, horizon
parisien, chaises branlantes, jambes croisées, clope sur clope, verre sur verre. J’entame une
discussion philosophique avec un type chimiquement illuminé. Il me parle des
étoiles, de la durée de notre existence misérable et du départ de Claire Chazal.
L'esprit loufoque a son importance lorsqu'il faut causer de la grandeur de l'univers et finir sur l'infiniment absurde. Je suis malléable à
souhait, j'ai réponse à presque tout. Le mec offre son champagne et partage sa coke. Son allure est noble,
ses poches sont pleines, ses cheveux structurés, le port de sa
veste est irréprochable. Je l’intrigue sur bien des points, mais il a la
délicatesse de ne rien explorer lorsque mes yeux se plongent dans le vague.
Le type qui marche est syrien. Sa
cheville droite le fait souffrir depuis qu’il a tenté de rattraper le voleur de
son sac à dos dans lequel il avait stocké tout ce qu’il considérait comme essentiel.
Ses poches sont vides, son pull est sale et ses cheveux gras. Il tient dans sa
main, un carton qui devrait le protéger des barbelés qu’il s’apprête à traverser.
Il inspire profondément. Ce
carton un peu humide, il l’a récupéré sur le bord de la route, juste à côté d’une
femme, recroquevillée sur le flanc droit, qui pleurait de ne plus en pouvoir. Un
goût de larmes assez proche du sang. Il a voulu lui parler. Lui-même a pleuré
sur le flanc gauche la nuit précédente, juste après avoir entendu raisonner la
voix chevrotante d’un homme épuisé qui disait : Si Dieu existe, j’espère
qu’il a une bonne excuse.
B.O. du #10
lundi 7 septembre 2015
#9
Le métro ne
redémarre pas à sa cadence habituelle. Il stagne, comme s'il nous forçait à nous attarder. Sur l'affiche 4x3, une jolie
fille s'apprête à porter à sa bouche un liquide éclaboussant les paumes de ses
mains. Bouche entrouverte, la connotation sexuelle est partout. Le titre
annonce "Vivre l’ivresse de la
vie". Campagne Mauboussin 2015. Rictus de 9h10.
Il y a ce jeu stupide qui consiste à prendre un livre au hasard, à faire glisser les pages le long de son pouce, s'arrêter sur l'une d'elles, fermer les yeux, déposer l'index sur le premier mot venu, le lire et y voir une signification. Le résultat trouvera immanquablement un écho à votre situation. La force de la conviction.
L'interprétation nous est propre. Elle trouve sa source dans notre état d'esprit, notre vécu, nos attentes.
Il en est de même des rencontres.
Une histoire pourra se raconter à l'infini, sous tous les angles, conjuguée à tous les temps. Certains instants seront mis en lumière, tandis que d'autres seront totalement occultés pour le bien de l'intrigue.
Le banal, encore lui, ne s'est finalement jamais installé. (merci de suivre)
Il a fallu quelques verres, beaucoup de rires et des danses improvisées sur le parquet brûlant d'un appartement en hauteur, pour que nos lèvres, qui ne faisaient que s’activer depuis sept bonnes heures, finissent par se calmer et se rencontrer.
Tous les scénarios avaient été envisagés. De la grosse production au film d’auteur. Bien que son talent soit irréprochable, le film en plan séquence que nous avons joué n’aura aucune audience.
Il sent la sauge, il a le goût du vin, de la cachaça et du champagne, la finesse de mes cheveux entre ses doigts, l’acidité d’une sécrétion savourée sur un index, la fermeté d’une empoignade, la découverte d’une chair célèbre sur une âme anonyme, la maladresse de l’inconnu, l'indécence de ma connerie, la fraîcheur de son visage au creux de mon cou, l'acidité de l'éphémère.
Diffusion unique de la pellicule thérapeutique, dont l'usage individualiste a fait renaître la symbolique profonde d'un égo retrouvé.
Il y a ce jeu stupide qui consiste à prendre un livre au hasard, à faire glisser les pages le long de son pouce, s'arrêter sur l'une d'elles, fermer les yeux, déposer l'index sur le premier mot venu, le lire et y voir une signification. Le résultat trouvera immanquablement un écho à votre situation. La force de la conviction.
L'interprétation nous est propre. Elle trouve sa source dans notre état d'esprit, notre vécu, nos attentes.
Il en est de même des rencontres.
Une histoire pourra se raconter à l'infini, sous tous les angles, conjuguée à tous les temps. Certains instants seront mis en lumière, tandis que d'autres seront totalement occultés pour le bien de l'intrigue.
Le banal, encore lui, ne s'est finalement jamais installé. (merci de suivre)
Il a fallu quelques verres, beaucoup de rires et des danses improvisées sur le parquet brûlant d'un appartement en hauteur, pour que nos lèvres, qui ne faisaient que s’activer depuis sept bonnes heures, finissent par se calmer et se rencontrer.
Tous les scénarios avaient été envisagés. De la grosse production au film d’auteur. Bien que son talent soit irréprochable, le film en plan séquence que nous avons joué n’aura aucune audience.
Il sent la sauge, il a le goût du vin, de la cachaça et du champagne, la finesse de mes cheveux entre ses doigts, l’acidité d’une sécrétion savourée sur un index, la fermeté d’une empoignade, la découverte d’une chair célèbre sur une âme anonyme, la maladresse de l’inconnu, l'indécence de ma connerie, la fraîcheur de son visage au creux de mon cou, l'acidité de l'éphémère.
Diffusion unique de la pellicule thérapeutique, dont l'usage individualiste a fait renaître la symbolique profonde d'un égo retrouvé.
A ce jeu stupide du livre, je suis tombée sur le mot "Transition".
B.O. du #9
A PROPOS
Figure pluridisciplinaire de la nuit parisienne queer depuis une dizaine d’années, Juncutt organise sa première soirée en 2005 et rejoint le collectif Barbieturix avec lequel elle organisera les soirées « Clitorise » et « Better Fucking Girls » à la Flèche d’Or et au Social Club.
Elle dépeint pendant 5 ans, ses aventures nocturnes sur son blog « Smoking Kills », critique satirique et mélancolique et tourne en parallèle le « documentaire » à épisodes, intimiste et doux dingue « You Should Be Me ».
Maîtresse de cérémonie de la GASTON Queer Clubbing qu’elle organise avec Vainui de Castelbajac entre 2013 et 2015 ainsi que des PIMP MY GASTON au nuba.

Fourni par Blogger.
