Le réveil sonne. J’étire
mes membres pour défroisser mon corps broyé par quelques heures de rêveries
dégueulasses. Il existe un instant vierge de toute pollution mentale. Trois
petites secondes de plénitude absolue immédiatement anéantie par ce foutu
cinéma macabre et irrémédiablement suivi d’une avalanche de questions enragées
et d’obligations plus communément appelées, la réalité.
Le rituel matinal est
lent jusqu’à la première gorgée de café passable et bien trop allongé. Trois
euros les trente dosettes. J’entends à la radio, s’énumérer les sujets du bac
2015 sans émotion jusqu’à « Suis-je ce que mon passé a fait de
moi ? »
Flashback sur le conseil
de cette fille qui me disait vendredi soir devant une bière tiède et quelques
arachides, droit dans ses bottes, à l’aise sur sa chaise, son regard plongé
dans le mien, qu'en amour, les responsabilités d’une rupture sont toujours
partagées, c'est 50/50. J’ai marmonné un « Oui oui sûrement… » en
n’ayant clairement aucune envie de m’accorder le moindre pourcentage de
responsabilité dans cette statistique douteuse.
Je me suis tout de même
concentrée sur mes failles juste après avoir appris que la dite statisticienne
avait déjà entamé une phase d'approche avec mon ex.
Entre deux tentatives de
suicides imaginaires, il a fallu calmer mes crises de tachycardie en
philosophant sur cette énigme, proposée à des millions de lycéens qui
n’auront sûrement pas assez souffert pour être lucide.
J’ai tenté les bases
freudiennes en remettant bien évidemment en cause le comportement parental.
Atroce mais complètement salutaire.
Aurais-je été moins
maternelle si je n'avais pas passé mon enfance à garder ma mère en vie, tirant
son corps alcoolique entre la cuisine et la chambre. Ma confiance aurait-elle
été renforcée si je n’avais pas attendu les signes de vie d'un père démissionnaire,
les coudes déchirés par un rebord de fenêtre crasseux ? Je suis un
diamant brut pour tout psychologue qui passera par là.
J'évoque le passé mais
j'implore le temps. Cette donnée immatérielle qui pourrie ta chair et grise ton
esprit. Le temps qui se modèle, et joue son rôle de tortionnaire en rejouant à
l’infinie des scènes, sous tous les angles, les yeux ouverts, les yeux clos,
dans ton lit, dans le métro, sous ta douche, et même en réunion, que tu le désires ou non: Quelques mèches blondes
le long d’une nuque, un café renversé sur un lit, une empoignade, un index
caressant une cicatrice, l’odeur du fromager de la rue Daguerre, une montagne
écossaise, un regard azur, une danse de salon, une bataille d’oreillers, la
mousse du bain sur un genou, la première minute angoissante d’un set, une
engueulade au milieu d’un concert, un fou rire sur une blague bidon, une
baise improvisée dans une loge poisseuse, la lame d’un couteau pénétrant la
chair d’une tomate juteuse, un baiser sur une épaule osseuse, un je t’aime sans
réponse, une sieste d’été, une tape sur l’épaule en guise d’adieu.
Il y a cinq ans, je
disparaissais de la toile pour essayer le bonheur discret pendant que le monde
devenait complètement débile. Après des nuits gravées pour l’éternité sur
pellicules où transpirait une mélodieuse aventure mélancolique, j’ai tenté
la vie normale des gens responsables. Trier mes poubelles, pisser sous la
douche, égayer mes conversations, faire danser les gens, être à l’écoute et
conseiller les amis avec l’aura d’un bouddhiste intégriste.
Mais s’il est bien
quelque chose que je regrette d’avoir laissé de côté, c’est bien cette
épanchement littéraire qui vaut toutes les thérapies coûteuses et qui
me faisait me sentir vivante.
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B.O. du #1
Stubborn Heart - Do Tomorrow