mardi 6 octobre 2015
#11
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#11
Ce qui m’a le plus surpris, c’est le chant amplifié des
oiseaux. Une cacophonie merveilleuse. Assise sur la terrasse surplombant une
ville terracotta en éveil, j’ai pris grand soin d’offrir à mes souvenirs
futurs, ce panorama au voile bleuté qu’exhibent les montagnes de l’Atlas.
Marrakech. Ses rues terreuses sont exiguës et nous
protègent de l’écrasante chaleur coutumière. Il nous faut nous pousser souvent,
longer les murs pour éviter les scooters, les vélos, les charrettes, les
promeneurs, les chats sauvages et les enfants agiles. Le parfum de l’essence et
des épices agressent nos naseaux. Les mendiantes statufiées n’attirent notre attention que lorsque l’on
manque de les heurter. Les vendeurs affalés alpaguent le moindre regard égaré qui
se pose sur leurs commerces. Le business de l’artisanat ancestral.
On a évité tous les pièges, sauf celui de s’épancher.
Le Riad est féerique. Il a le luxe du calme que la ville ignore. Piscine glacée en son centre, chambre agréable, drap frais. Au dernier
étage, une table familiale que l’on investit à la hâte, dans un désir soucieux
de recréer une ambiance festive qui se prêtera aux confessions sentimentales,
les lèvres rougis par un vin marocain passable et fort en bouche.
L’une d’elles masse ses pieds, torturés par 13 kilomètres de
marche. Elle enchaîne sur l’histoire de ce type, beau comme un Dieu, avec qui
elle a baisé il y a quelques semaines, et qui n’avait plus jamais donné de
nouvelle. Elle a eu tout le temps, la semaine suivante, de faire la liste de tous
ses défauts qui auraient empêchés cet abruti de revenir. Une libido tordue, une
fin de règles, une cellulite disgracieuse, une conversation dénuée de sens, un
sexe mal épilé, des cheveux secs, une haleine condamnable. Elle a cherché
longtemps les causes d’un silence alors qu’elle pouvait simplement mettre ça
sur le compte du principe du coup d’un soir. Celui qui n’oblige à rien, et surtout pas à revenir. Son massage remonte jusqu’à sa cuisse lorsqu’elle nous annonce
que le mec a finalement refait surface ce matin, aussi brusquement que la trique d’un adolescent.
Celui qui vous pousse à penser à ce gamin de 20 ans avec
qui aucun avenir n’est possible. Celui qui vous engage à baiser avec ce mec qui ne donnera pas plus de nouvelles à la seconde baise. Ce sentiment si présent qu’il en devient
familier et douillet. Celui que vous souhaitez enterrer en allant là où
vous ne souhaitiez pas aller, en fréquentant des gens que vous n’aimez pas, en prenant des décisions qui ne vous correspondent pas.
On a ouvert une nouvelle bouteille de vin, puis on a sorti les cartes.
B.O. du #11
A PROPOS
Figure pluridisciplinaire de la nuit parisienne queer depuis une dizaine d’années, Juncutt organise sa première soirée en 2005 et rejoint le collectif Barbieturix avec lequel elle organisera les soirées « Clitorise » et « Better Fucking Girls » à la Flèche d’Or et au Social Club.
Elle dépeint pendant 5 ans, ses aventures nocturnes sur son blog « Smoking Kills », critique satirique et mélancolique et tourne en parallèle le « documentaire » à épisodes, intimiste et doux dingue « You Should Be Me ».
Maîtresse de cérémonie de la GASTON Queer Clubbing qu’elle organise avec Vainui de Castelbajac entre 2013 et 2015 ainsi que des PIMP MY GASTON au nuba.

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