Je suis
arrivée avec un bon quart d’heure d’avance au rendez-vous qu’on s’était tous
fixé chez Florent, avec l’appréhension que certains se désistent, sous l’emprise
de la paralysie générale. J’ai lu ici et là qu’il fallait continuer à faire la fête,
mais il a fallu trier entre les prêches de résistance et les discours mercantiles. Le vice
du profit s’acoquine souvent au malheur.
Parce qu’une
fois attablée en terrasse, par besoin de
souffler et non par esprit conquérant soyons honnête, mon premier réflexe a été
de vérifier toutes les issues possibles si quelques balles venaient à fendre l’air
en ma direction. « Vu comment t’es
placée, je crois que t’y passeras la première. » Blague morbide en vue
d’apaiser la tension et qui fera rire jusqu’à la prochaine rafale qu’on sait
imminente.
Je me suis interrogée sur le maintien du shooting destiné à la promotion de
notre soirée Amour Sauvage. J’avais le choix entre continuer à fédérer où me
mettre en boule sous ma couette en écoutant 37 fois par jour Nos joies répétitives de Pierre Lapointe. Une semaine, c’est
le temps nécessaire pour que la boule dans la gorge glisse jusqu’au ventre.
Alors on l'a fait.
Léonard installe
son matériel, me montre les feuilles d’or qu’il pourrait appliquer et dispose
sa palette de fonds de teint précautionneusement. Je débouche une bouteille, il
est 14h, je m’enfile deux verres d’affilée pour trouver la force de feindre la bonhomie.
Je
filme, je tremble un peu. Pauline me présente sa nouvelle
petite amie sur laquelle il faudra que j’ai un avis. Karina savoure la
délicatesse de Léonard dont les pinceaux glissent sur ses pommettes comme des
caresses sur un nouveau né. Géraldine parsème l’air de ses bonnes vibrations londoniennes. Nicol
s’étire les membres supérieurs. Mathilde règle son appareil photo. Jordan prend
la pose avec assurance et Florent n’en perd pas une miette.
Je rêve de
bras de huit mètres qui les enlaceraient tous. J’imagine des discours
affectueux. Quelques mots qui exprimeraient ce qu’ils ont insufflé à ma vie sans rien laisser paraître. Celui
qui m’a fait confiance, celle qui m’a soutenue, celle qui m’a réveillée, celui
qui n’a pas oublié. Au lieu de ça, je remplis les verres, je filme, je tacle et
je me noie dans ma pudeur. Je n'ai pas su leur promettre autre chose que de les rendre beaux.
(Le résultat est à voir ici )
Deux cent
mètres. C’est approximativement la distance entre la sortie de métro Bonne
Nouvelle et l’entrée du Delaville Café. Un trajet interminable lorsque, inondée
de questions, celle qui remonte entre toutes s’inscrit en lettres de néons
aussi violemment que le nouvel éclairage du grand Rex : Est-ce vraiment une
bonne idée de se revoir ?
Quels sujets aborder lorsqu’on a 10 ans à updater ? Débuter par ce qui nous avait fâché. Donner les noms de tous ceux et celles avec qui on a couché. Parler des emplois
que l’on a occupé. Nommer les rues où l’on a habité. Raconter la vie des
autres. Rire sur les scoops improbables. Critiquer les dernières séries. Admirer la journaliste influente qu’elle est devenue. S'inquiéter des livres
que je n’ai jamais écrit.
« Première table à droite en rentrant
sur la terrasse. » 1
nouveau message. Nous sommes 6 jours
avant les attentats.
Nora se redresse. Nora sourit. Mes doutes s’estompent à la première bise. Elle est
encore plus jolie. Le temps efface bien des choses, mais la beauté, c’est ce
qui s’oublie en dernier. Si cette rencontre s’était jouée dans un film, la
séquence aurait été entrecoupée de flashback insolites. Entre deux gorgés de
mojito, gros plan sur une mezzanine en bois cognant contre un mur sous l’impulsion
de mouvements de bassin, alors que j’entre discrètement dans la pièce pour
récupérer un paquet de clopes. Au milieu de ses péripéties chez Slate, plan
serré sur ses yeux humides alors que je traîne dans le salon, ma valise de 30
kilos, prête à partir vivre à Montréal et pensant la laisser entre de bonnes
mains.
A propos des mots,
il y a eu débat. Sur l’écrivain que je ne suis pas devenu. Sur les désastres du
bonheur sur l’inspiration. Sur tous les blogueurs influents qui n’influencent
plus. Et sur celle qui a tout réussi avec talent.
Dernier
métro, le SMS « c’était cool ».
L’esprit grisé par ces retrouvailles, je lui demande de faire revivre Sskizo.
Je crois qu’au fond, en plus du plaisir de la lire à nouveau, je n’avais pas
envie d’être la seule à revenir.
B.O. du #15