A ma droite s’agite Isabelle avec laquelle je finis par discuter, coincée entre une chaise haute qui n’a pas sa place et un type à chapeau s’acharnant à inventer un cocktail imbuvable. Je lui raconte combien son travail sur Camweb est particulièrement intelligent et bien écrit. L'instant neutre arrive à son terme lorsque les premiers verres se renversent sur mes pompes. Entre deux éclats de rires et une danse improvisée, elle conseille. Les gens qu’il faut forcément côtoyer, ceux qui viendront d’eux-mêmes, attirés par le bruit du filon à exploiter et surtout oui surtout, ceux qu’il faut éviter. Elle a l’œillade de celle qui doit faire la fête maintenant, sur le champ, sans réserve, éreintée par une maternité récente, et une carrière à rediriger.
lundi 28 décembre 2015
#17
J’emballe à la hâte le dernier cadeau que je glisse dans le grand sac où se trouve déjà tous les autres, soigneusement rangés. Une
hotte de fortune estampillée FNAC sur les côtés.
J'ai passé bien assez de réveillons seule pour savoir que
l'esprit de Noël pèse plus lourd que les 21 grammes que l'on attribue au poids
de l'âme.
Qu’il est ardu de rassembler les pièces d’un puzzle dont les
angles usés ne s’emboitent plus. On essayera de ne pas s’attarder sur les
pièces manquantes, mais on y reviendra entre le plat et le dessert.
Dans la cuisine, ma mère transperce le gigot de son couteau
pour y fourrer des morceaux d’ail. Casques sur les oreilles, elle crie « Hein ? Quoi ? J’écoute
RTL ! »
Les habitudes indécrottables des solitaires. Quand bien même
avons-nous l’impression de lui faire plaisir en lui faisant partager un moment
collégiale, elle continue d’agir comme si nous n’étions pas là. Son monde se
retrouve alors, emmerdé par les cris, chahuté par les enfants, prisonnier des
contraintes liées à la vie en communauté.
Sur la table est disposé le nécessaire pour l’atelier hors
d’œuvres :Œufs de lompes, Tamara, pain d’épices, roquefort, saumon,
jambon… « Est-ce que c’est bien
comme ça ? » Les nièces tartinent les petits pains avec une
certaine minutie. Ici comme ailleurs, les hommes brassent de l’air, traversent
la pièce de long en large sans but ultime et proposent de l’aide une fois que
tout est terminé.
Sur le tard, déjà repu d’une entrée costaud et après avoir
évoqué une fois de plus l’absence du géniteur, ce mâle plus tellement alpha,
qui n’a pas daigné savoir si je ne m’étais pas pris une balle dans la gueule en
novembre dernier, est arrivé le moment fatidique d’étaler les opinions
politiques. C’est au bout de la seconde bouteille que l’on se croit capable de
résoudre tous les problèmes de cette planète à coup de phrases faciles, de
raccourcis moisis et d’interprétations hâtives, confit d’oignons entre les
dents.
Il me faut monter le ton très haut pour recadrer les propos
nouvellement fasciste de l’oncle qui subit une Zemmourite sévère. Je reconnais cette maladie à la fièvre
allergique qui fait naître une céphalée fulgurante, suivi d’une pulsion
meurtrière calmée par la technique de respiration traditionnellement utilisée lors des accouchements et plus communément appelée, « la technique du petit
chien ».
Point de rupture atteint, je ne peux ni supporter ses
théories fumeuses sur le potentiel terroriste de chaque réfugié syrien, ni
tolérer ses propos antisémites sous couvert d’un
« Mais c’est important de se poser les bonnes questions. »
Pendant qu’autour de la table, on déballe quelques cadeaux afin
d’évacuer cet air vicié, apparaît alors entre mes mains une BD tombant à point
nommé. L’oncle dit : « Tu as eu
quoi ? Montre c’est quoi ? Ah… oui.. ok… »
On peut lire sur la couverture « Riad Sattouf - L’Arabe du futur. »
21h37, sur le
boulevard Ordener se libère devant moi, une jolie place de parking dans
laquelle j’engouffre ma caisse, me pensant comme à chaque fois, super chanceuse. Ce leurre.
L’appartement qui accueille l’anniversaire de Chloé est
spacieux. Nous sommes quelques jours avant le réveillon. Je remercie l’hôte de
me recevoir. J’aime assez ça, la politesse. Nous serons la dernière génération à en
user. Le balcon semble pencher, alors j’évite de regarder vers le bas pendant
que je tiens une conversation sur l’identité Corse avec une inconnue qui le
devient chaque minute un peu moins. Camille est malade, elle est contagieuse,
elle n’embrasse personne. Il lui faudra le répéter à chaque nouvel arrivant
jusqu’à ce qu’on finisse par s’enlacer sur du Britney Spears, quelques heures
plus tard. « Oh pis merde ! »
qu’on criera dans un élan d’affection général. Je tomberai malade 48 heures
plus tard.
Sur le bar, les vivres sont abondantes. Dans le frigo, les
bouteilles s’entrechoquent. Sur nos verres, des étiquettes personnalisées. J’ai
pioché Loana, j’ai discrètement changé pour Bidule.
Il existe dans toutes les soirées, qu’elles soient fastueuses, qu’elles soient somptueuses, cet instant neutre régi par la dignité, où les invités
s’écoutent et se contiennent. Cette heure où danser sur l’inacceptable est
impensable. Cette heure où rien ne tangue encore, ni le corps, ni l’espace. C’est
une team majoritairement Vanity Fair qui grouille, une population vive et
ouverte, un microcosme arty encore épargné par la droitisation et avec lequel il est
bon de converser, d'évoquer l'absurde comme l'important.
A ma droite s’agite Isabelle avec laquelle je finis par discuter, coincée entre une chaise haute qui n’a pas sa place et un type à chapeau s’acharnant à inventer un cocktail imbuvable. Je lui raconte combien son travail sur Camweb est particulièrement intelligent et bien écrit. L'instant neutre arrive à son terme lorsque les premiers verres se renversent sur mes pompes. Entre deux éclats de rires et une danse improvisée, elle conseille. Les gens qu’il faut forcément côtoyer, ceux qui viendront d’eux-mêmes, attirés par le bruit du filon à exploiter et surtout oui surtout, ceux qu’il faut éviter. Elle a l’œillade de celle qui doit faire la fête maintenant, sur le champ, sans réserve, éreintée par une maternité récente, et une carrière à rediriger.
A ma droite s’agite Isabelle avec laquelle je finis par discuter, coincée entre une chaise haute qui n’a pas sa place et un type à chapeau s’acharnant à inventer un cocktail imbuvable. Je lui raconte combien son travail sur Camweb est particulièrement intelligent et bien écrit. L'instant neutre arrive à son terme lorsque les premiers verres se renversent sur mes pompes. Entre deux éclats de rires et une danse improvisée, elle conseille. Les gens qu’il faut forcément côtoyer, ceux qui viendront d’eux-mêmes, attirés par le bruit du filon à exploiter et surtout oui surtout, ceux qu’il faut éviter. Elle a l’œillade de celle qui doit faire la fête maintenant, sur le champ, sans réserve, éreintée par une maternité récente, et une carrière à rediriger.
Je ne le connais que trop bien ce regard. J’ai passé trop de
temps à être moi-même alors que je pouvais devenir quelqu’un.
B.O. du #17
POINT PRESSE: J'ai été interviewée par le site, Les Biches. Si tu te fais chier, ou que t'as vraiment envie d'en savoir plus sur ma vie, mon oeuvre, tu peux la lire ici.
A PROPOS
Figure pluridisciplinaire de la nuit parisienne queer depuis une dizaine d’années, Juncutt organise sa première soirée en 2005 et rejoint le collectif Barbieturix avec lequel elle organisera les soirées « Clitorise » et « Better Fucking Girls » à la Flèche d’Or et au Social Club.
Elle dépeint pendant 5 ans, ses aventures nocturnes sur son blog « Smoking Kills », critique satirique et mélancolique et tourne en parallèle le « documentaire » à épisodes, intimiste et doux dingue « You Should Be Me ».
Maîtresse de cérémonie de la GASTON Queer Clubbing qu’elle organise avec Vainui de Castelbajac entre 2013 et 2015 ainsi que des PIMP MY GASTON au nuba.

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