vendredi 6 mai 2016
#24
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#24
Marie s’attable, Marie s’excuse. On doit parler fort pour se raconter,
entre les rires d’à côté et la musique du dessus. Elle porte souvent ses mains
à son visage, frotte ses joues, balaye ses cheveux électriques, pose ses coudes
sur la table, croise les bras, se tord, s’avance, se recule, se perd dans le
vide d’une pensée furtive, et réapparait en scandant un : Qu’est-ce que tu pourrais écrire pour
moi ?
J’alpague la serveuse toujours plus énervée, qui passe son cul entre les
chaises rapprochées des clients affalés. ll faut que tu saches que je ne sais écrire
que sur l’intime... Deux mojitos s’il vous plait.
Les idées fusent pendant que le soleil s’est abandonné derrière les
buildings et qu’une foule queer commence à envahir le Café de la Presse. Le
doute s’est à nouveau invité dans le dialogue. Jamais je n’aurais autant
rencontré d’artistes aussi proches de l’abandon. Une lutte acharnée à vouloir
jouer le jeu, qu’il faut payer par le poids d’une réalité chiffrée. J’arrive à
lire en eux tout le potentiel qu’il s’apprête à abandonner. Je pourrais leur
offrir le rôle de leurs vies si je n’avais pas déjà le mien à jouer.
J’aimerais pas
qu’on se loupe. J’aimerais que ça soit sale. Elle a dit d’accord.
L’étage est bas de plafond. L’humidité des vapeurs humaines imbibe le
bois de la charpente sur laquelle on colle nos hanches. Une centaine de
personnes est assise en tailleur, telle une classe de maternelle mignonne et
docile qui attend que débute un spectacle de marionnettes. On ne voit pas
grand-chose, Renaud, pimpé drag queen, m’avait pourtant bien prévenu. Mets-toi bien devant sinon tu ne
verras rien.
L’agitation qui embaume l’atmosphère m’invite au retrait. Tout est si
vivant et excessif qu’il m’extrait violemment. Il n’existe pas de moment
parfait sans une once d’absence.
Le temps d’un refrain entraînant, les pensées les plus chaudes vagabondent sur les souvenirs d’un coït récent et illimité. Son cou fin dans ma paume ferme,
une chevelure envahissante, un ventre moite, des cuisses qui s’écartent, une respiration haletante,
une odeur de petite monnaie, un au revoir
et à bientôt peut-être.
J’ai toujours été hermétique aux limites.
B.O. du #24
A PROPOS
Figure pluridisciplinaire de la nuit parisienne queer depuis une dizaine d’années, Juncutt organise sa première soirée en 2005 et rejoint le collectif Barbieturix avec lequel elle organisera les soirées « Clitorise » et « Better Fucking Girls » à la Flèche d’Or et au Social Club.
Elle dépeint pendant 5 ans, ses aventures nocturnes sur son blog « Smoking Kills », critique satirique et mélancolique et tourne en parallèle le « documentaire » à épisodes, intimiste et doux dingue « You Should Be Me ».
Maîtresse de cérémonie de la GASTON Queer Clubbing qu’elle organise avec Vainui de Castelbajac entre 2013 et 2015 ainsi que des PIMP MY GASTON au nuba.

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