mercredi 29 juin 2016
#26
Dans la poussette, un bambin au sexe indéterminé secoue frénétiquement
ses membres sans raison aucune. Bras en l’air, jambes tendues, tête en avant,
sur le côté. Ça gigote sévère dans la Maclaren. Une vieille dame entre dans le wagon, sans
chercher une place libre à tout prix. C’est sa façon de lutter.
Ses yeux balayent le nom de chaque station indiquée au-dessus des portes
battantes. Elle estime, en silence, le chemin qu’il lui reste à parcourir. L’instant
métaphore. Son regard stoppe sa course sur l’enfant énervé. D’une vision
surement floutée, l’enfant regarde la vieille dame, la vieille dame regarde
l’enfant. La connexion est établie.
Une quenotte apparaît, l’enfant fait risette. Un bridge apparaît, la
vieille dame lui renvoie. Elle hoche plusieurs fois la tête pour communiquer sa
sympathie, l’enfant secoue ses jambes potelées pour marquer son excitation,
attrape son pied gauche avec grande difficulté, retire sa chaussette et lui
tend. J’assiste à la scène, la mère assiste à la scène, notre univers s’attendrit.
La générosité serait donc innée. Le métro s’arrête, la foule qui s’engouffre fait
s’évaporer l’action et retomber nos rictus. La chaussette tombe au sol, un type
marche dessus, la mère la ramasse et la glisse dans sa poche. La connexion est
rompue.
Sms : Tu te
rappelles ce que tu m’avais dit ? Putain, t’avais raison ! Orlando, c’est
atroce !
C'est vrai, je lui avais dit. Tu sais, je pense
que c’est nous qui allons y passer la prochaine fois. Je veux dire, la
communauté homosexuelle.
Marie ne semble pas comprendre sur le coup, jusqu’à ce que je complète la
réflexion. On a cherché les issues de secours pendant qu’autour de la drag
queen, jaillissait un arc en ciel.
Là par exemple, si
un terroriste entrait, à défaut d’avoir de la chance, de se cacher sous un
corps, de faire semblant d’être mort, on y passerait à coup sûr.
Il doit bien exister sur cette terre, un endroit où l’on n’entend pas
siffler le son des balles. Entre 2 dunes éventuellement, entre 4 planches
assurément.
Et si vous cherchiez encore les raisons qui nous poussent chaque année à défiler, sur des chars bruyants et colorés, vous pouvez les trouver dans l’effroi
qui se loge au fond de vos tripes. Cette peur qui assomme chacun de nous de
pouvoir, à tout instant, mourir pour ce que nous sommes.
B.O. du #26
lundi 6 juin 2016
#25
-T’es vraiment qu’une conne !
Et tout son corps roule jusqu’au recoin le plus éloigné du lit king size.
Aller plus loin serait tomber. La nuit est bien entamée lorsqu’elle commence à
bouder et que j’en oublie aussitôt la raison. Je sens qu’elle teste, avec
parcimonie, de par ses mots, jamais les mêmes, de par ses gestes, souvent les
mains, le chemin que je voudrais bien faire prendre à cette relation. Un mois
et demi que nos corps nous poussent à nous retrouver à l’excès, dès que
l’alcool fait s’engluer notre raison, comme fait exprès. Textos
de début de soirée: T’es où ? Je
suis là. Qu’est-ce que tu fais ? Je danse. J’ai envie de toi. Rejoins-moi.
J’arrive.
Elle se veut désincarnée mais il n’y aucun attrait à baiser un corps vide, à moins de n’avoir rien à
offrir, rien à demander, Je dépense pourtant une énergie folle à ne pas vouloir
découvrir l’énigme de son regard noir, les traumatismes éclatants de son corps
frêle ou les petites entailles que parsème son âme à chaque coup
de reins.
Je glisse sur le lit jusqu’à ce que mes seins rencontrent son dos. L’entoure
de mon bras le plus tatoué, le plus dévoué, mordille son épaule, embrasse son
cou, invente quelques bruits rigolos pour désamorcer sa colère. Elle fait
genre, puis elle pouffe, attrape ma main, embrasse mes doigts, le silence est
rompu, le contrat tient toujours. Je devrais pouvoir être une conne encore
quelques temps.
Pendant qu’on admire la Seine se prendre pour une marée montante, et que
le zouave du pont de l’Alma a de l’eau jusqu’aux couilles, ça se la joue Robert
Doisneau sur Instagram. Le parisien ayant échappé à la rafale de novembre
dernier, se délecte d’être resté en vie sans se plaindre, vraiment c’est
possible, et se découvre photographe prolifique et poétique. Je le vois,
essayer de détecter la moindre parcelle de beauté sur un monticule de merde.
Pas de soleil, pas de transport, pas d’essence. On meurt électrocuté dans ses
parcs, alors que ses terrasses se vident et qu'on danse dans ses festivals boueux.
Le parisien devient le champion du monde du hashtag positif, fasciné par ce
déluge sur lequel il n’a aucune emprise. Le parisien n'en a plus rien à foutre.
C’est ce constat que l’on fait avec Grégoire, en sirotant ce verre de vin
à dix euros. On déguste le prix autant que la gorgée. Il me parle de fatalisme, de lâcher prise. Il
débute sa tirade sur la difficulté d’être nous, trentenaires sans rêves. Sans
rêves et sans thunes. Sans thunes et sans ambition. On paye le bonheur insouciant
de nos parents. Qu’il marmonne en s’étirant sur sa chaise. Il desserre sa
cravate, déboutonne le col de sa chemise, décoiffe sa mèche gominée, attrape
une cigarette dans son paquet écrasé, l’allume et dit avant d’expirer longuement : Maintenant que le vieux est mort, c’est mon
tour je présume.
Grégoire vient tout juste d’enterrer son père. Banderoles de baratineurs sur couronnes de fleurs de ceux qui semblent le regretter. Raciste, fasciste et tout un tas d’autres trucs qui se finissent en phobe. Trop coûteux à graver en lettres dorées sur une pierre tombale qu'on n'ira jamais visiter. Grégoire s’en veut d’avoir pleuré ce connard sous prétexte d’être le fruit d’un coït qui a pris.
Le cliché de l’enterrement sous la
pluie, c’est surtout ça qui m’a fait chialer tu sais... Et toi ton père, comment est-il ?
Tête penchée, rictus gêné.
- Mon père n’est pas mort mais c’est
tout comme.
- N’espère pas t’en
tirer avec une punchline fermée. Insiste-t-il
Alors je cherche. Je cherche à me souvenir. Comment il était, ce qu’il dégageait.
Il m’a laissé son charme, son humour, sa carrure et son nez. Il a pris grand soin d’emporter le reste. Je
crois le voir parfois au détour d’une rue, sur le quai du métro, que j’aille
bien, que je sois mal. Il apparaît parfois, ici et là, jusqu’à ce que je me rappelle que
seuls les fantômes peuvent venir vous hanter. Les vivants eux, se contentent d’être
absent.
Grégoire se lève soudainement, engloutit à toute vitesse son ballon de rouge, jette un billet sur la table et s’esclaffe :
Regarde, j’ai piqué
des galets à l’enterrement. Viens on va faire des ricochets sur la Seine.
B.O. du #25
A PROPOS
Figure pluridisciplinaire de la nuit parisienne queer depuis une dizaine d’années, Juncutt organise sa première soirée en 2005 et rejoint le collectif Barbieturix avec lequel elle organisera les soirées « Clitorise » et « Better Fucking Girls » à la Flèche d’Or et au Social Club.
Elle dépeint pendant 5 ans, ses aventures nocturnes sur son blog « Smoking Kills », critique satirique et mélancolique et tourne en parallèle le « documentaire » à épisodes, intimiste et doux dingue « You Should Be Me ».
Maîtresse de cérémonie de la GASTON Queer Clubbing qu’elle organise avec Vainui de Castelbajac entre 2013 et 2015 ainsi que des PIMP MY GASTON au nuba.

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