Dans le
couloir, l’odeur du cake, sorti du four, me traîne par les narines jusqu’à sa
porte d’entrée sur laquelle est collée une coccinelle. Sandrine, face radieuse, m’invite à entrer
après que mes phalanges ont longtemps insisté. Sur le canapé,
Irobass et sa copine, sur le sol, un petit nerveux d’à peine deux ans s’essaye
au break dance. Il faudra l’enjamber souvent.
Sur la
table, trônent divers amuse-gueules, tous préparés avec attention. Sandrine a le
sens de l’accueil. Tabouret en bois, je m’assoie. Elle dit « J’ai lu ton blog. Comment vas-tu ? » Je réponds « Tout va très bien, j’ai juste un sens
assez prononcé pour la dramaturge de pacotille. » La cuisine est
petite, le balcon est immense. Le genre de proportions irrationnelles décidées
par les architectes des années 70, défoncés au LSD. Ils ont pourri notre environnement sur des décennies.
On se
raconte, on s’écoute, on s’esclaffe, on regarde le petit s’agiter, on lui donne
une chips, puis deux, puis douze. Ça sonne, ça entre, ça se claque la bise,
ça picore, ça picole et ça rigole. Le chargé de com’ de Chez Moune arrive, il
n’a pas mangé depuis hier, il est frêle, il a baisé toute la nuit avec une fille rencontrée dans le métro. Ce genre d'histoire existe encore. Il semble usé mais Il nourrit son ambition avec les moyens que le club ne lui accorde pas. La notoriété d’un
nightclub se résume à une histoire d’amour. Il y a l’attrait, l’engouement puis
le désintérêt et enfin l’abandon. Ce qu’il faut pour faire renaître la flamme,
un nouveau décor, un nouveau nom.
Anton
acquiesce. Anton est frais. Anton est humble. Le nouveau directeur artistique du
Moonroof a envie que la clientèle se frotte aux murs récemment repeints. Il
écarquille bien les yeux lorsqu’il s’imagine déjà refouler du monde à l’entrée,
booker du guest, du bien lourd. Il demande « Tu viens quand le visiter ? »
Sur ce balcon, il y a nos corps frissonnants, nos clopes consumées. On refait la nuit, on a l’air franchement
sérieux, on oubliera bien vite.
Les
Rework s’adossent au mur. On cherche quoi leur dire pendant qu’ils cherchent
des bières. Le fils de l’un d’entre eux, gueule d'ange, à peine descendu du podium du défilé Dior,
cherche lui à savoir ce qu’il fout là. Ce soir, tout le monde semble chercher quelque chose.
Sur mon téléphone, pas de message.
La
barmaid de Chez Moune fait éclater un verre entre les pieds de son boss qui
l’engueule sans ménagement devant un parterre de clients assoiffés. « Premier
soir ? » que je demande accoudée au comptoir, ticket conso entre les
doigts. Elle s’enfuie vers le fond, fouille parmi les bouteilles, revient à ma
hauteur, dépose deux shots de tequila, un flacon de sel et deux morceaux de
citron. Elle se penche vers mon oreille et crie : « Un pour toi, un pour moi. C'est cadeau. » Je glisse mon ticket dans
ma poche arrière. On lèche nos pouces salés, on penche la tête pour faire
descendre le feu, on suce le citron. Elle sourit puis disparaît. Sa ressemblance avec Eva a agité ma sympathie. Dans bien des
villes, beaucoup de filles ressemblent à Eva. Il leur suffit d’être sylphide, très blonde et atrocement intelligente. C'est au Franprix Trinité que je l'ai recroisée il y a quelques semaines. Elle tenait dans ses petits bras, de bourgeoises victuailles achetées pour un pot de départ. « J’ai
été élevée à bonne école… » qu’elle me dit en se dirigeant vers la
caisse.
C'est ainsi. On passe deux ans de sa vie à aimer quelqu'un, pour un beau jour, finir par lui claquer la bise au rayon frais du supermarché du coin.
Sur la piste de danse, beaucoup d'amour.
Sur mon
téléphone. Pas de message.
B.O. du #22