vendredi 22 juillet 2016
#27
Robert, 57 ans, cheville gauche relevée en arrière, file droit et me dépasse sur la rue pavée
de la Villette qui mène à la Folie. Il met fin à sa balade et pivote sa
trottinette sur sa béquille. Notre niveau de confort est atteint. Je connais
son nom et son âge parce qu’il m’a demandé, mon nom et mon âge peu après
m’avoir réclamé du feu. Il s’est senti obligé de m’informer de son identité, au
cas où ça aurait de l’importance, au cas où, je le recroiserais, au cas où, je le gratifierais d’un petit : Merci Robert, c’était bien cool cette petite pipe ! assurément redevable de lui avoir sucé l’excroissance
derrière un buisson.
C’est
lorsque les jours rallongent et que la température augmente que les vicelards
en ruts sont les plus actifs, s’autorisant à accoster tout ce qui a une chatte
en s’acharnant, on ne le sait que trop bien, sur celles qui portent des jupes. La
seule chose qui différencie un homme d’un violeur n’est pas la loi, mais
l’éducation. C’est la réponse à toutes les conneries qu’il serait tenté de
commettre, sous l’impulsion de son ignorance, de ses peurs où de ses instincts primaires.
Robert est
mal tombé. Robert a une gueule à mal tomber. Ça te plairait toi qu’un gros dégueulasse t’accoste pour te proposer un
petit doigt dans le cul ?
Oh tu sais, faut pas croire que j’suis pas
ouvert ma petite dame, je vote Mélenchon. Qu’il
réplique en remontant sur son engin direction Corentin Cariou, à la recherche d’une
nouvelle proie.
Les Fatboy
sont tous investis sur la grande terrasse d’A la folie. Corps étalés, fond de
bière dans les gobelets en plastique consignés. Cette nouvelle mode infernale
tirée des festivals. Prétextant mettre ça sur le compte de l’écologie tout en misant
sur tous ceux qui seront trop épuisés de faire la queue pour revoir l’ombre d’une
pièce d’un euro.
Ca ferme les
yeux, respire lentement, la clientèle est à l’aise. Je traverse l’assemblée,
dépose mon matériel derrière la cabine du dj, connecte la carte son, allume le
Mac. Laurent, qui tournoyait depuis un moment sur le dance floor, s’avance vers moi, se présente
en tendant une joue. Il est la moitié d’Eustache McQueer, le groupe que j’ai
invité à performer pour cette nouvelle édition d’Amour Sauvage.
En attendant
l’arrivée de Joël, l’autre moitié, il déploie sa valise, s’interroge sur le
branchement, inspecte le retour son, tourne les enceintes. Il se raconte un peu
pendant que je me siffle un coca post hangover, pour cause d’anniversaire
improvisé, fêté la veille au Supersonic. Je me suis alors dandinée sur Inigo Montaya
tout en me faisant offrir caipi sur caipi en guise de cadeau de dernière minute.
Rentrer saoule sans baiser. C’était pourtant à ma portée. Une année de plus, il
n’y a vraiment rien à célébrer.
Joël, barbe
rose, étale de la chantilly sur un gâteau allemand, grimpe sur une table et le
piétine de ses talons aiguilles en déhanchant son petit cul moulé dans un
legging en paillettes. Le spectacle éclabousse, il mérite une plus grande audience.
Dora
Diamant, veste rouge passion à épaulettes et blondeur platine, s’est téléportée
depuis 1987. C’est à toi dans 5 minutes !
que je lui hurle. Quoi ?! Elle
balance son épi de maïs à peine entamé dans l’assiette et pique un sprint vers
la cabine. Pas de besoin de casque.
Ma fascination pour le personnage est totale. Elle nous fera danser comme à l’orée
de nos premières boums.
J’veux des frites ! Prisse implore. Mes proches errent avec quelques clients devant
l’entrée, qui est désormais fermée. Ça veut continuer à faire la fête. Sur un
bout de pelouse, dans un club d’été vide et crasseux, ou dans l’appartement d’un
inconnu qu’on espérera généreux et de bonnes intentions.
Camille et
Camille régressent. Elles se chamaillent. Elles se ressemblent. Leur timidité
commune disparaît et laisse place à une ingérable démence au bout du cinquième
verre, faisant naître alors une insolente insouciance où la moindre taquinerie
les fera rire jusque tard dans la nuit. Debout, fly case à l’épaule, je les contemple.
J’aimerais jouer moi aussi.
J’veux des frites ! Les néons d’un vendeur de kebab illuminent
son attention et nous donne la direction à prendre. Ça sent la friture, l’huile
cramée et la sauce mayonnaise bon marché. Ça ne rigole pas dans le local. L’un des
serveurs astique sans ferveur, une plaque à induction irrécupérable. Il a l’air
d’un type qui voudrait enfin dormir. L’autre,
celui qu’on pendrait pour le boss, scrute l’écran de télévision, une barquette isotherme
entre les mains, immobile, comme hypnotisé.
J’voudrais des
frites ! Sa commande est passée. Je pose mon sac sur
une table branlante, je pose mon regard sur une télévision inquiétante.
Bandeau BFM, j’ai peur de lire, j’ai peur de comprendre. Plus de 70 morts
à Nice. Coup de coude dans les côtes de l’affamée, qui se redresse.
J’entends Camille et Camille glousser au loin. C’est la gaudriole qui
raisonne. Je porte le poids de la douloureuse. Je les observe une dernière fois,
profiter de l’ignorance, rire encore un peu, plonger dans l’absurde tout en
cherchant les mots pour les assommer.
Qu’est-ce qu’on
fait ? Il y a un mec qui propose d’aller chez lui. On y va dit ?
Allez viens on y va !
C’est ce moment-là que j’ai choisi, pour les achever.
B.O. du #27
A PROPOS
Figure pluridisciplinaire de la nuit parisienne queer depuis une dizaine d’années, Juncutt organise sa première soirée en 2005 et rejoint le collectif Barbieturix avec lequel elle organisera les soirées « Clitorise » et « Better Fucking Girls » à la Flèche d’Or et au Social Club.
Elle dépeint pendant 5 ans, ses aventures nocturnes sur son blog « Smoking Kills », critique satirique et mélancolique et tourne en parallèle le « documentaire » à épisodes, intimiste et doux dingue « You Should Be Me ».
Maîtresse de cérémonie de la GASTON Queer Clubbing qu’elle organise avec Vainui de Castelbajac entre 2013 et 2015 ainsi que des PIMP MY GASTON au nuba.
Fourni par Blogger.