lundi 19 juin 2017
#28
Elle porte cette longue robe
bleue qui emprisonne l’air lourd de l’été précoce à chaque enjambée. Je l’observe
se presser de monter cette petite colline ensoleillée depuis laquelle j’agite
les bras pour lui indiquer ma présence. On s’agace déjà d’hésiter entre une accolade
consensuelle et un baiser dont l’érotisme se propagerait dans tout le parc comme
une onde qui raviverait le vert de l’herbe et dresserait les sexes tranquilles.
Elle s’agenouille pour étaler
sur la couverture des choses facile à manger en vantant leurs qualités
nutritionnelles. Nos index se frôlent autour d’un gobelet que je lui tends et que
je manque de lâcher, toujours gênée par les contacts inopinés. On trinque à l’absurde,
on étale nos jambes, on se félicite de l’emplacement. La décence m’empêche de
peser sur elle et de l’avaler entière. Je lis dans son regard qu’elle dévoile
en ôtant ses lunettes de soleil pour en frotter les verres avec le bas de sa
robe, qu’elle ne se donnera pas facilement mais l’entrecuisse qu’elle m’offre à
voir promet l’inverse.
Délirium de flashs tendancieux sur
le récit de sa semaine. Il me tarde de la faire taire, d’éteindre son assurance
en l’immobilisant par les poignets qui s’agitent pour l’heure à chaque fin de phrase
ou pour ponctuer l’importance d’un fait. J’acquiesce gentiment sur sa faculté à
vivre pleinement les aventures inédites de sa vie, encore épargnée par l’ennui qu’elle
sentirait de toute façon poindre et qui la ferait changer de cap sans complaisance.
C’est ce qui la rend aussi attirante qu’effrayante.
Son lâcher-prise ne sera
offert qu’à une poignée d’élus et jusqu’à notre dernier souffle il faudra nous glorifier
de nous être choisies, chérir tous les instants où nos peaux parleront un
langage qui échappe à l’entendement.
Je n’y tiens plus. Elle est de
celle qu’il faut maîtriser sans permission au risque de ne pas être digne d’intérêt.
Par ma main qui serre ferment sa cuisse j’invoque un départ. Elle relève ses
cheveux vers le haut pour aérer sa nuque, marque une pause pour évacuer la
tension puis rassemble ses affaires, se lève, sourire craintif, aussi muette
qu’un condamné résigné à la potence. Comme à son habitude, elle entame une
marche solitaire et déterminée, me laissant ainsi tout le loisir de contempler la
partie la plus à même d’être croquée en premier.
Les fenêtres de l’appartement ont
été baissées pour conserver la fraîcheur nocturne. Sur mon lit, les plis d’un
simple drap fin qui recouvre l’ensemble rappellent une œuvre de Christo. La
pression du jet qui se déclenche à l’instant précipite mon désir. J’écarte
le rideau de douche pour la rejoindre en évitant le contact désagréable du
tissu mouillé. Son dos est courbé, son cul en évidence. Elle règle la
température en poussant de petits cris dès le seuil de tolérance atteint. Une
noix de gel dans le creux de ma main suffit à faire mousser l’entièreté de son
corps qu’elle colle contre le mien dans le but de me faire râler puis arrose nos
langues qui se rencontrent enfin. Je la presse contre mon torse et frotte énergiquement
toutes les parties accessibles.
C’est son silence qui
autorise. Il déclenche officiellement le rôle qu’elle m’accorde à avoir sans
déborder du cadre sous peine d’une remontrance autoritaire. Moment privilégié de
mes doigts serrant son cou où je suis maître de l’emprise. Dans son regard
apeuré, sa confiance vacille. J’attends un peu, quelques secondes, la priver d’air,
lui rappeler sa nécessité, sa valeur. Privés de ça, nous ne sommes plus rien. Maintenant !
Elle sort de la salle de bain en sautillant
pour arriver la première sur le lit, encore mouillée, enroulée dans sa serviette. Je
prends le temps de me recoiffer, enfile un maillot et un slip pour garder un minimum
d’ascendant sur celle qui n’a déjà plus rien à cacher.
Allongée sur le dos, jambes écartées, je la regarde passer au-delà du mot belle.
A PROPOS
Figure pluridisciplinaire de la nuit parisienne queer depuis une dizaine d’années, Juncutt organise sa première soirée en 2005 et rejoint le collectif Barbieturix avec lequel elle organisera les soirées « Clitorise » et « Better Fucking Girls » à la Flèche d’Or et au Social Club.
Elle dépeint pendant 5 ans, ses aventures nocturnes sur son blog « Smoking Kills », critique satirique et mélancolique et tourne en parallèle le « documentaire » à épisodes, intimiste et doux dingue « You Should Be Me ».
Maîtresse de cérémonie de la GASTON Queer Clubbing qu’elle organise avec Vainui de Castelbajac entre 2013 et 2015 ainsi que des PIMP MY GASTON au nuba.

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