jeudi 18 octobre 2018
#31
Elle a tenu sa main pour soutenir le corps de l’autre qui
menaçait de s’enfoncer, bien qu’à distance, sur cette plage de galets instables,
personne n’aurait parié sur une quelconque force. Elles ont ri jusqu’à atteindre le
haut du monticule qui les préserverait d’une chute honteuse.
Leurs tendons saillants et les plis sous leurs yeux rieurs révélaient
un attachement que moi seule pouvait percevoir comme une attraction naissante,
pour l’avoir déjà vécu il y a plusieurs vies de cela. Cet indéfectible besoin de
toucher l’autre. Projeter ses baisers sur un épiderme encore inconnu. Planifier
le contact de tout le reste comme on foulait la terre vierge des continents.
C’est sur cette plage venteuse réanimant un été bien merdique,
que je m’étais donnée pour mission de les rapprocher, de les confronter à mon
évidence : Deux d’entre nous devaient s’aimer sans conditions. Sans perfidie
aucune, délesté des approches factices, des complots intérieurs, oubliant le
ridicule d’un emballement, la peur d’un je t’aime ravalé. Accepter les stigmates
qu’impose un tel investissement, se résoudre à éprouver, enfin.
Je voulais les voir s’amouracher avec la même ferveur qui me
poussait, à contrario, à chasser le spectre de ma bribe plus si joyeuse qu’il me fallait condamner au silence forcé. Je n’ai jamais mieux
aimée qu’en silence. Ainsi muselée, impossible d’offenser.
Brosser en paix, un portrait nostalgique, dépourvu des imperfections
pour ne conserver que le goût d’un baiser à la longueur inhabituelle qu’on
savait être le dernier. Et puis, dès que l’occasion se présente, la tête sur l’oreiller
à l’aube d’un sommeil paradoxal, dans un wagon presque vide le regard paumé sur
la page d’un livre qu’on lit machinalement sans en intégrer le sens, dans l’intérieur
feutré d’une bagnole à l’arrêt camouflé des sons extérieurs, prendre le temps
de revivre l’imperceptible des moments partagés, le vertige de ces joies grandioses
à la lecture de son prénom, à l’écoute de son rire raillé qui surgissait en
décalé sur mes blagues à la con. Plus qu’une chance, qu'elle donne désormais à
d’autres, une empreinte.
L’automne. C’est arrivé. J’ai bien œuvré. Mes deux estivantes font à
présent se soulever les tables des bars de leurs bras qui s’agrippent sans
pudeur, pressées de fuir l’agitation ambiante, pour faire tout ce qu’on doit
faire dans un début d’idylle avec l’excitation la plus pure.
Je me régale de leur alliance qui me nourrit
en retour et comble un palpitant qui ne s’anime que pour ses fonctions vitales. Faire
circuler le sang d’une aorte à l’autre.
A PROPOS
Figure pluridisciplinaire de la nuit parisienne queer depuis une dizaine d’années, Juncutt organise sa première soirée en 2005 et rejoint le collectif Barbieturix avec lequel elle organisera les soirées « Clitorise » et « Better Fucking Girls » à la Flèche d’Or et au Social Club.
Elle dépeint pendant 5 ans, ses aventures nocturnes sur son blog « Smoking Kills », critique satirique et mélancolique et tourne en parallèle le « documentaire » à épisodes, intimiste et doux dingue « You Should Be Me ».
Maîtresse de cérémonie de la GASTON Queer Clubbing qu’elle organise avec Vainui de Castelbajac entre 2013 et 2015 ainsi que des PIMP MY GASTON au nuba.

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